le web, fenêtre sur le monde

Écrire à partir d’outils proposés par le web (Google Maps Street view, Google Earth), décrire, inventorier, lister

On envisage souvent le web comme une fenêtre sur le monde. Cet accès à autant d’images du monde nous dévoile quoi de celui-ci? Dévoilement possible si nous rendons actif notre regard, si nous essayons, nous efforçons de voir ce qu’on ne voit plus afin de dépasser l’image première qui s’impose à nous et qui semble trop évidente pour présenter un quelconque intérêt. Et dans l’abondance des images du monde proposées, en isoler un fragment et le passer à la loupe.

Deux extraits pour se convaincre que tout lieu peut devenir point de départ pour l’écriture :

A Origny, et c’en est même étrange, pas l’ombre d’une barre ou d’un lotissement, rien que le plan en Y de deux grandes rues étirées où de petites maisons de briques s’appuient les unes contre les autres, le principal spectacle étant celui de la circulation automobile, à commencer par celle des camions. Une sorte d’esplanade, où se tient l’église, et au fond de laquelle s’ouvre un parc, s’efforce de ressembler à une place, mais rien n’y fait, c’est trop vide, trop vaste, Origny est comme un faubourg qui n’aurait pas de centre et, habité, semble inhabité. On pourrait s’en tirer en disant qu’il s’agit là au fond d’une tristesse assez courante (je me souviens par exemple d’avoir ressenti quelque chose de très proche à Dieuze, dans le Saulnois lorrain), mais ce serait passer à côté de ce qu’elle a de spécifique : ce n’est pas à cause du contraste avec l’épisode raconté par Stevenson que j’insiste, mais parce que dans ce dénuement il y a une vérité — pas celle, érigée en inversion automatique, d’une vérité du dénuement qui, comme telle, s’opposerait au luxe, à la facilité, à la facticité, mais la vérité propre du puits sans fond qui fait qu’un lieu, une surface quelconque, n’est jamais un « non-lieu », jamais quelque chose qu’on puisse expédier en trois phrases, même si on le fait.
Jean-Christophe Bailly, Le dépaysement

Puis tentez, comme si vous étiez le premier homme, de dire ce que vous voyez, ce que vous vivez, ce que vous aimez, et ce que vous perdez. N’écrivez pas de poèmes d’amour ; fuyez pour commencer les formes qui sont trop courantes, trop ordinaires : ce sont les plus difficiles, car il faut une grande force, parvenue à maturité, pour donner quelque chose qui vous soit propre, là où sont installées en foule de bonnes et parfois brillantes traditions. Aussi, réfugiez-vous, loin des motifs généraux, auprès de ce que vous offre votre propre quotidien ; peignez vos tristesses et vos désirs, les pensées fugitives et la foi en quelque beauté — peignez tout cela avec une ardente, silencieuse, humble sincérité, et servez-vous, pour vous exprimer, des choses qui vous entourent, des images de vos rêves, et des objets de votre souvenir. Si votre quotidien vous paraît pauvre, ne l’accusez pas ; accusez-vous vous-même, dites-vous que vous n’êtes pas assez poète pour en évoquer les richesses ; car pour celui qui crée, il n’y a pas de pauvreté, ni de lieu pauvre, indifférent.
Rilke, Lettres à un jeune poète, 17 février 1903.

Proposition d’écriture : sur le modèle de Tentative d’épuisement d’un lieu parisien de Georges Perec, utiliser Google Maps street view et Google earth pour décrire un lieu que l’on connaît ou non: décrire ce que l’on voit, dresser un inventaire en utilisant différents angles de vue et en s’attachant à être le plus précis et le plus exhaustif possible.

Il y a beaucoup de choses place Saint-Sulpice, par exemple: une mairie, un hôtel des finances, un commissariat de police, trois cafés dont un fait tabac, un cinéma, une église à laquelle ont travaillé Le Vau, Gittard, Oppenord, Servandoni et Chalgrin et qui est dédiée à un aumônier de Clotaire II qui fut évêque de Bourges de 624 à 644 et que l’on fête le 17 janvier, un éditeur, une entreprise de pompes funèbres, une agence de voyages, un arrêt d’autobus, un tailleur, un hôtel, une fontaine que décorent les statues des quatre grands orateurs chrétiens (Bossuet, Fénelon, Fléchier et Massillon), un kiosque à journaux, un institut de beauté, et bien d’autres choses encore.

Un grand nombre, sinon la plupart, de ces choses ont été décrites, inventoriées, photographiées, racontées ou recensées. Mon propos dans les pages qui suivent a plutôt été de décrire le reste: ce que l’on ne note généralement pas, ce qui ne se remarque pas, ce qui n’a pas d’importance: ce qui se passe quand il ne se passe rien, sinon du temps, des gens, des voitures et des nuages.

I

La date: 18 octobre 1974.

L’heure: 10h 30. Le lieu: Tabac Saint-Sulpice.

Le temps: Froid sec. Ciel gris. Quelques éclaircies.

Esquisse d’un inventaire de quelques-unes des choses strictement visibles:

_ Des lettres de l’alphabet, des mots: « KLM » (sur la pochette d’un promeneur), un « P » majuscule qui signifie « parking »; « Hôtel Récamier », « St-Raphaël », « l’épargne à la dérive », « Taxis tête de station », « Rue du Vieux-Colombier », « Brasserie-bar La Fontaine Saint-Sulpice », « P ELF », « Parc Saint-Sulpice ».

_Des symboles conventionnels: des flèches, sous le « P » des parkings, l’une légèrement pointée vers le sol, l’autre orientée en direction de la rue Bonaparte (côté Luxembourg), au moins quatre panneaux de sens interdit (un cinquième en reflet dans un des glaces du café).

_ Des chiffres: 86 (au sommet d’un autobus de la ligne n°86, surmontant l’indication du lieu où il se rend: Saint-Germain-des-Prés), 1 (plaque du n° 1 de la rue  du Vieux-Colombier), 6 (sur la plaque indiquant que nous sommes dans le 6° arrondissement de Paris).

_ Des slogans fugitifs: « De l’autobus je regarde Paris ».

_ De la terre: du gravier usé et du sable.

_ De la pierre: la bordure des trottoirs, une fontaine, une église, des maisons…

_ De l’asphalte

_ Des arbres (feuillus, souvent jaunissants)

_ Un morceau assez grand de ciel (peut-être 1/6e de mon champ visuel)

_ Une nuée de pigeons qui s’abat soudain sur le terre-plein central, entre l’église te la fontaine

_ Des véhicules (leur inventaire reste à faire)

_ Des êtres humains

_ Une espèce de basset

_ Un pain (baguette)

_ Une salade (frisée?) débordant partiellement d’un cabas

Georges Perec, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien p9-11.

écrire des todo listes

écrire un premier article sur le blog, en découvrir quelques-unes des possibilités (insérer une photo, insérer un lien), écrire bref, écrire par imitation, utiliser des mots-clés

Le web littéraire propose des formes d’écriture variées, des expériences originales. Il est aussi invitation à l’écriture: par la possibilité de commenter, mais aussi de prolonger l’acte de lire par celui d’écrire, d’imiter d’un blog à un autre la démarche adoptée, de s’inscrire dans un lire-écrire.

Un exemple d’une expérience d’écriture brève et quotidienne qui a débouché sur une publication numérique chez publie.net : les todo listes de Christine Jeanney.

Comment l’auteur présente sa démarche:

Le 18 juin 2011 j’ai lancé sur Twitter un appel (du 18 juin) à don de photos.

Ma demande est la plus large et la plus vague possible, aucune consigne sur ce qu’elles peuvent représenter ou leur format, parce que j’aime les surprises. C’est justement ce que je cherche, ne pas savoir à l’avance ce qu’il y aura sur la photo qu’on m’enverra.

J’enregistre toutes les photos reçues dans un dossier nommé Todo liste. Chaque matin, j’en choisis une, plutôt à l’instinct, sans idée préconçue, parfois sans même avoir regardé la photo trop précisément, je préfère, il y a là-dedans une sorte de logique qui m’échappe.

Je me donne ensuite la journée pour écrire une liste de 4 points /occurrences /choses à faire, à dire ou à penser en réaction / réponse / écho à cette photo, ma « Todo liste ». Le résultat est mis en ligne à 00h01 sur le blog tentatives. Parfois, j’écris le texte d’un seul jet, d’autres fois, il me faut la journée entière et je le modifie jusqu’à 23h59.

En fait, c’est presque un jeu de déplacement : la photo se déplace vers moi, elle vient de je ne sais où, et moi je me déplace vers elle, un endroit surprenant, ça donne un texte imprévisible, avec des pistes qui partent presque sans moi, que je n’ai qu’à suivre, ou à débusquer.

C’est une drôle d’expérience, à la fois sous contrainte et très libre. C’est ça, les Todo listes.

Quelques exemples de todo listes écrites par Christine Jeanney, en cliquant ici.

Proposition d’écriture : en partant de deux des images extraites de Google Street View proposées ci-dessous, rédiger une todo liste constituée de deux à quatre éléments commençant par penser à (ou un autre verbe à l’infinitif) ; ajouter des mots-clés. Enregistrer l’article dans la rubrique Textes en insérant les images retenues (icône Ajouter un média, en haut à gauche sur la barre de tâches).